Un éveil douloureux...... L'odeur de la fumée vint en première... puis les cris... la chaleur... les flammes... le Chaos...
... Des mains tremblantes de terreur, arrachant à la chaleur du lit douillet l'esprit hagard vers un retour brutal du monde des rêves...
... Le monde se trouble et défile devant le regard, une pluie rouge épaisse et chaude tombe sur les jeunes compagnons sans visages à ses côtés...
... L'odeur caractéristique des corps calcinés...
... Le voile de l'incompréhension et les ombres des compagnons s'éloignant loin... loin hors d'atteintes de la main tendue de désespoir...
" NOOOOOOOOOOOOON!!!!"
Retour brutal à la réalité.
Ash’ham était assis, ruisselant de sueur pour achever sa première nuit sur le lit de l'auberge de la Flûte Verte. Un cauchemar... encore.
Les mains plaquées sur le visage, se forçant à reprendre son calme en contrôlant sa respiration, le jeune elfe s'ancrait de nouveau à la réalité: la réalité de sa vie actuelle.
Ramenant ses longs cheveux argentés en arrière de ses doigts tremblant, maintenus par la transpiration, son regard se fixa sur le mur de pierre et de bois face à lui. Reliant chaque vision de son cauchemar avec la réalité de son passé, sa vie d'enfant passée au sein de sa famille à Méliandre, durant laquelle il jouit d'un bonheur paisible mais trop jeune pour savoir l'apprécier à sa juste valeur ; il y apprenait à lire et à écrire, l'histoire, les mathématiques et la plupart des domaines d'études habituels avec tous les autres enfants. Il aida ensuite son père et sa mère chargés de récolter les plantes médicinales dans la forêt et d'en cultiver les plants les plus rares chez eux, car telle était leur tâche depuis plus d'un quart de millénaire... et seule leur mort pourrait les dissuader de faillir à leur devoir !
Ash’ham repoussa le drap fin et se leva afin de faire quelques pas dans la pièce. Il se dirigea tout d'abord vers la porte de sa chambre avant de se diriger vers la fenêtre donnant sur la voûte de roche salvatrice de l'humanité... Au loin les premières lueurs du matin s'annonçaient dans les rues d’Hiloroth sous la forme de torches aux flammes bleutées se changeant progressivement les unes après les autres en flammes rouges classiques et bien plus rassurantes... Dans cette ville... Quelque chose était différent... Il pouvait le sentir.
Il se souvenait du raid perpétré par les dragons, tuant et brûlant au hasard.
Il se souvenait aussi des secousses alors que lui et les autres jeunes fuyaient en catastrophe les créatures funestes.
Il se souvenait surtout son impuissance.
Inspirant une bouffée d'air viciée, le bilan de sa vie lui parut bien dérisoire: ayant découvert très tôt chez lui des aptitudes à la magie inhabituelles chez ceux de son peuple, non en puissance mais en nature, son père l’avait envoyé comme la tradition familiale l’exigeait à la branche d’ambre, section de l’Ordre du peuple elfique. Il excella rapidement dans son apprentissage, mais fut mit tout aussi vite à l’écart par un grand nombre de ses camarades magiciens et professeurs…
Les elfes possédaient naturellement un calme et un esprit d’analyse surprenant pour la majorité des autres races, due en grande partie à leur longévité, ainsi qu’un comportement habituellement profondément pacifique… Mais le calme d’Ash’ham avait quelque chose d’inquiétant et de subtilement dérangeant : il existait une différence très nette entre le regard apaisant d’un esprit limpide et celui d’un prédateur jaugeant sa proie avec calme. C’est cette dernière impression que son regard provoquait la plupart du temps, et la nature même de sa magie ne fit qu’aggraver les rumeurs à son sujet : Là où ses camarades manipulaient tel ou tel aspect de la nature verdoyante, Ash semblait naturellement plus proche de créatures bien moins populaires que les canidés ou les félidés tant prisés.
Certes, cela restait en rapport avec la nature… Comme tout bon elfe qui se respectait… mais cet aspect plus brutal de la réalité était souvent mis de côté au profit d’une nature plus paisible… plus « herbivore »…
Et cette hypocrisie collective au sein de son peuple agaçait profondément Ash’ham ! Cette passivité avait causé leur quasi-destruction quelques années plus tôt… Il était temps de faire ressortir leur instinct de survie, leur nature carnivore… Cela aussi était un aspect important des préceptes de Milindhya, trop souvent mis de côté à son goût.
Une partie de sa famille avait réussi à survivre et ensemble ils s’étaient installés au sud-ouest de Méliandre, à mi-chemin entre la capitale et l’orée de la forêt. A peine une petite vingtaine d’individus, à laquelle vint se greffer une trentaine d’elfes supplémentaires petit à petit au fil des années… Tous cherchant à retrouver leur vie d’antan… Comme si rien n’était arrivé !
Ils reproduisaient la même erreur.
Il était temps d’acquérir ce qu’il manquait au peuple qui aurait dû repousser aisément les dragons par eux-mêmes… Mais il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation. Ash’ham montrerait l’exemple : Il deviendrait une force avec laquelle tous devraient compter… Il montrerait que n’importe quel elfe - magicien ou pas - avait le potentiel pour devenir un redoutable prédateur, et non pas systématiquement une proie sans défense aux puissants de ce monde…
Le début de sa quête semblait naturellement l’avoir conduit à Hiloroth : Après tout, quel lieu plus adapté que celui du peuple qui repoussa les dragons ?
Comment était-il arrivé jusqu'ici déjà ? Son réveil odieux ne lui permettait de reprendre ses esprits que bribes après bribes, comme une histoire déjà lue aux chapitres fragmentées... le temps se rembobina dans son imagination et avec lui les images de la veille et son aventure imprévue ayant servit de comité d'accueil des plus brutal, une histoire de brigands et d'ogres... mais ce qu'il cherchait se trouvait bien plus loin dans le passé, et il laissa à nouveau défiler les évènements à contre-nature et l'eau remonter les cascades... des jours... des semaines... des mois...
là !Oui. C'était il y'a presque quatre mois de cela : lorsqu'il quitta la Branche de l'Ambre et décida de se rendre à la récente capitale humaine... gracieusement offerte par le peuple nain semblait-il ?