2.1 - Premières investigations

La ruelle était sombre, les lumières du Parcours d'Ilamil venant fébrilement s'échouer sur ses murs pour éclairer difficilement le sol du passage biscornu dans lequel vous vous trouviez. Cela faisait déjà un petit moment que tu accompagnais Gavras dans ses enquêtes et pourtant, la vue des morts était encore difficile à soutenir. Les bruits du ghetto derrière toi te faisaient envier Lob Nor qui avait été contraint de s'absenter pour une bonne partie de la matinée et peut être même de la journée, te laissant seul avec le vieil enquêteur pour découvrir et observer ce nouveau crime qui pourrait bien être en lien avec d'autres depuis quelques semaines.

Dans la pénombre de la ruelle, tes yeux se plissent pour plus rapidement se familiariser avec le manque de lumière tandis que l'homme entre à quelques mètres derrière toi est silencieux. Il te semble qu'il fait quelque chose avec son sac mais tes yeux son plus rapidement attirés par l'origine de l'odeur infâme qui émane des ténèbres proches de toi. Faisant un pas en avant tu commences à discerner les contours du la ruelle et une masse allongée dans les détritus. Ta botte droite se montre un peu collante, t'indiquant avec dégoût que tu viens très certainement de marcher dans le sang de la victime, en partie moite et coagulé.

Relevant le col de ton uniforme et plaquant le foulard aspergé d'essence d'orange contre ton nez comme te l'avait recommandé Octave pour repoussé les odeurs, tu effectua un pas de plus. Soudainement un claquement résonna dans ton dos et une forte lumière t'aveugla quelques secondes alors que tu te retournais. Le vieil homme venait d'allumer une torche enduite de poix à l'aide d'un briquet de pierre.

" Alors ? Que vois tu ? Dis moi. "


Mal voyant par son âge avancé, il faisait résonner le pied de sa canne de bois sculpté à chacun de ses pas lent dans ta direction, la tenant fermement de ses trois derniers doigts de la main gauche. Son crâne chauve et sa belle moustache ainsi que ses énormes favoris reluisaient à la lumière de la flamme qu'il tenait haut au dessus de lui pour éclairer au mieux la scène horrible. Il s'agissait là du cadavre d'une femme, encore, son visage était fracassé et tuméfié, gonflé et déformé par la violence des coups de son meurtrier. L'humaine portait des vêtements de piètre qualité en partie déchiré, tu pouvais voir ses seins, son ventre et ses jambes, sa jupe relevé sur ses cuisses et ses hanches. Sa tête avait beaucoup saigné et elle était sur le dos allongé morbidement au milieu des détritus.

" Alors Reyan ? Comment est-ce que cela se présente ? "

T'invitant à inspecter le corps et la scène, Octave attendait que tu commences à fouiller, observer et t'occuper de relever les possibles indices qui se trouvaient encore ici. Mais comme souvent tu avais le choix de savoir par où commencer.

Le vieil homme marmonnait doucement, se parlant à lui même pour faciliter sa propre réflexion. Faisant de son mieux pour t'offrir un bon éclairage il détourna un instant la torche pour mettre en lumière la ruelle derrière lui avant de revenir, pensant certainement au chemin fait par le tueur et la femme.

" Hum... C'est nouveau, mais peut être fallait-il s'y attendre. La rue semble pourtant étroite et difficile d'accès. Tu regarderas ensuite ce que tu peux trouver au sol mon petit. "

Vigilance:

Toujours penché sur la morte, tu observais son visage qui était dans un état odieux, comme si la personne qui l'avait tué c'était acharné sur la pauvre femme avec une grande sauvagerie. Nez cassé, lèvres explosés, arcades et pommettes brisés, crâne fracassé à l'arrière de la tête, quelques marques de strangulations à mains nues. Quelque chose attira cependant ton attention, une étrange tâche bleuté sur le coin gauche de sa bouche, comme une vieille tâche d'encre. D'ailleurs à mieux y regarder ses vêtements étaient des vêtements de travail et en comportaient aussi, peut être qu'il ne s'agissait en fait pas d'une fille de joie. Si l'on prenait en compte les marques légères de sang sur les cuisses et la position de la femme elle avait été probablement tuée après son viol. Mais au regard des derniers indices il était possible de douter du lien entre ce meurtre et les précédents.

Quand ton attention se reporta sur la ruelle, des marques de bottes se dégagèrent sans grand mal car elles comportaient une particularité, une marque de pression étrange au milieu du pied droit, comme si une petite plaque avait été disposée sous la botte pour la rehausse de quelques centimètres...

Ton mentor afficha un sourire à l'écoute des tes remarques, réfléchissant à tes propositions et opinant du chef de temps en temps. Il garda sa torche haute pour bien t'éclairer et te permettre d'affiner ton regard.

" Je doute que les Furets acceptent de nous aider de bonne volonté. tu apprendras mon enfant qu'il existe une grande compétition entre nous autre enquêteurs royaux, les agents des furets, les membres du guet et aussi les agents religieux. Un véritable nœud à épine !
Il serait certainement plus simple et rapide de nous occupez nous-même de la récolte d'informations. Nous avons je le pense assez d'observations pour débuter notre enquête et vérifier si oui ou non il y a un lien avec notre homme qui fait victimes des pauvres femmes. "

Les quelques curieux situés à l'angle éloigné de la ruelle, observant dans votre direction pour tenter de voire quelque chose commençaient à se disperser. Ne laissant plus que les ombres et le silence vous entourer.

" Par où souhaites tu commencer ?
Quelles sont tes idées ? Si tu dois un jour reprendre mes enquêtes, tu dois te montrer malin et observateur.
Je sais que tu as les capacités pour y arriver, alors étonnes moi Reyan. "

Comme souvent, le vieil homme adoptait un ton presque paternaliste avec toi, tentant au mieux de te faire entrer en confiance et t'obligeant à expliquer tes pensées pour pouvoir ensuite rebondir dessus et t'exprime à son tour son propre point de vue.

Le vieil homme écouta avec attention tes propositions et secoua la tête d'un hochement approbateur tout en tordant son corps pour faire demi-tour et se mettre en route vers la sortie de la ruelle.

" C'est une bonne idée que de commencer par questionner les gens du coin.
Orienter nos recherches en fonction de ce que tu as observé facilitera nos déplacements et accélérera nos déductions.
Ici la majeure partie des commerces sont ceux de non-humains, il faut donc se renseigner sur ceux pouvant user d'encre ou de pigments similaires. "

Effectuant quelques pas il détourna par la même occasion la source principale de lumière pour éclairé son chemin, progressant avec une difficulté à moitié dissimulé.

" Jettes un dernier coup d'oeil et retrouves moi à l'entrée de la ruelle.
Je vais mander un gamin pour qu'il aille dire aux Furets de récupérer le corps. "

S'éloignant doucement tu te trouvais seul dans les ombres en présence de la morte dont les odeurs ne cessaient d'agresser tes narines et tes capacités de concentration. Après un dernier regard tu pourrais à loisir retrouver l'enquêteur et demander aux bedeaux des informations sur les commerces alentours.

L'enquêteur se redressa à l'aide de sa canne, affichant un visage marqué par l'âge et les tragédies qu'il avait observé tout au long de sa carrière. Malgré l'affaiblissement de son corps physique, il dégageait encore quelque chose de très stable et d'imposant. Les personnes alentour regardèrent dans votre direction et il était facile de dire que bien des années au par avant, ce devait être quelque chose de l'observer travailler et secouer les criminels de toute la cité.

" Il est possible en effet que ce soit le cas.
Reyan a fait plusieurs bonnes observations qui me portent à réflexion.
J'ai déjà une idée de ce qui pourrait se tramer derrière l'encre cet odieux crime, mais pour votre propre sécurité je n'en parlerais que si mes soupçons doivent se montrer justifiés.
De nombreuses éloges m'ont étés faites à votre sujet et j'espère que vous pourrez apprendre un peu à mon contact et à celui de mon jeune disciple.
Allez donc le rejoindre pour mener l'enquête, je vais moi même attendre le retour de nos amis les Furets afin qu'ils disposent du corps et l'amène à l'Université au sien de la Ruche.
Je suis certain qu'une étude post-mortem de nos chers médecins en herbe nous en apprendra plus quand nous irons leur rendre visite plus tard.
Faites ce que vous pouvez et avancez au mieux dans cette enquête avec Reyan.
Vous devez apprendre à travailler en équipe car deux cerveaux valent toujours mieux qu'un, même s'il est question d'un vieux cerveau habitué de ce genre d'affaires.
Je m'en irai ensuite vous attendre à la Flûte Verte plus haut sur la place du Marché Elfique.
Mes vieux os ont grand besoin de repos et je suis certain de votre qualité à tous deux. Évitez cependant de rapporter tous mes mots à Reyan, il pourrait en prendre trop confiance en lui. "

Souriant d'un air amusé et paternel, le vieil homme fit quelques pas afin de s'appuyer contre un tonneau, brandissant sa canne dans les airs tout en ordonnant aux gens de filer car il n'y avait aucun spectacle à observer si ce n'est celui de recevoir un coup sur la caboche. La foule se dispersa tranquillement, il était bon pour une fois d'avoir plutôt affaire à des Elfes, des Nains et d'autres non-humains qui dans ce genre de cas savaient se montrer plus respectueux du travail d'enquête et moins curieux que d'autres, vous laissant généralement faire votre devoir dans de bonnes conditions.

Reyan de son côté échangeait avec un Nain à la barbe brune tressé et solidement enchâssé dans de nombreux anneaux de cuivre sculptés, très certainement, à la main. Le regard marron du Nain fit un rapide aller retour en direction de la petite foule devant la ruelle avant de revenir sur le jeune humain.

" Hé bien mon p'tit gars, tu dois être sacrément malin pour porter ce truc...
Heu... Oui, oui ! Y'a Celadune qui fait de beaux vêtements plus à l'Ouest en remontant le Parcours dans cette direction.
Sinon tu as la Tannerie de la Barbe plus bas, par là en dessous d'la place de l'Acier.
Et puis en te baladant dans le coin tu verra tout un tas de petits tanneurs, c'est l'coin ou qu'ça bosse par là.
Avec l'odeur tu vas pas t'perdre !
Besoin d'autre chose ? Sinon faut qu'je file, sinon mon patron va m'garder plus tard ce soir, et ce soir c'est l'soir de ma partie de d'Nain et Roche autour d'une bonne bière. "

Se grattant le postérieur, le Nain t'observa dans l'attente de ta réponse. Pour une première rencontre dans la zone il était agréable de voir que OUI, les Nains aimables ça existait, malgré toutes les ragots que l'on pouvait entendre sur leur mauvais caractère.

La boutique de vêtements offrant aussi des services de blanchisserie et de teinturerie disposait de beaux présentoirs sur la rue pour montrer la qualité du travail ici effectué. Depuis l'extérieur il était déjà possible de sentir les nombreux embruns d'encens envahir les airs afin de dissimuler les effluves parfois peu ragoutantes des teintures et autres concoctions utilisées lors du blanchiment des linges. A l'intérieur, la grande salle faisant office de boutique vous dévoilait de nombreux mannequins de bois sur lesquels se montraient de splendides créations pour femmes et hommes de toute race. Il était possible de passer commande et une petite ardoise indiquait que le temps d'attente actuel des commandes sur mesures était de trois mois.

Plusieurs personnes, Elfes, Nains et Humains principalement, s'affairaient à l'arrière de la boutique dans un espace dédié à la couture et à la reprise des vêtements abîmés par le temps et les activités brutales de la vie quotidienne. Mamandil, l'Elfe couturier et propriétaire des lieux, se trouvait en discussion avec une Dame de la cité accompagné d'une petite escorte. Venue passer commande elle ne comprenait pas pourquoi elle devait attendre trois mois avant de se faire livrer et exigeait que sa robe passe avant toutes les autres affaires de l'Elfe. Ce dernier avait un peu de mal à se sortir de cette situation et profita de votre arrivée pour saluer la Dame et lui donner rendez-vous dans trois mois. Lui promettant de passer chez elle dans deux jours pour prendre ses mesures et l'invitant avant de partir à laisser quelques pièces auprès d'un de ses apprentis en guise d'avance pour le travail à venir. Se hâtant dans votre direction, il leva un bras en l'air et vous salua chaleureusement tout en s'inclinant très poliment à la manière Elfique.

" Messieurs, quel honneur de recevoir des représentant de l'armée d'Hiloroth dans ma modeste boutique.
Sachez que la commande des Officiers sera bientôt terminé et qu'ils pourront tous s'incliner sans risque de voir leur postérieur dévoilé.
Que puis-je pour vous en plus de ces bonnes nouvelles ? "

Souriant à l'énonciation de son trait d'humour, il se releva et vous accorda le plus grand intérêt. Grand, élancé, à la peau pâle et la chevelure platine, ses yeux verts venaient terminer le portrait d'un Elfe à la beauté naturelle. Il portait des atours verts à la découpe rappelant les feuilles de grands arbres. Quelques pointes de brun venaient s'ajouter par sa ceinture et une belle écharpe pour lui donner l'air de porter une petite forêt en guise de vêtements.

L'Elfe effectua un mouvement de recul à l'entente de la découverte du cadavre et afficha même une moue de dégoût lors de la succincte description de la morte. Il tourna même la tête un instant, ajoutant un aspect très théâtral à sa manière d'encaisser ce qui se voulait être un choc.

" Messieurs, s'il vous plaît, ne parlez pas de choses aussi violentes au sein de ma boutique. Il se pourrait que vos mots froissent mes tissus et abîment mes coutures si sensibles.
Tous mes travailleurs sont ici et il n'en manque pas un !
Il y a de nombreuses personnes qui confectionnent leurs teintures et font office de couture. Nous ne sommes cependant pas très nombreux à disposer d'une réelle réputation.
Vous avez la Tannerie de la Barbe de Ragnar Thorgramson, qui travaille le cuir tout spécialement.
Les Voiles du Désert situé un peu plus haut qui offre de merveilleux tissus, c'est un Smilly du nom de Ja'sshems qui en est le propriétaire.
Le Fil et l'Aiguille qui se trouve proche des Boucheries, le magasin est le bien de deux sœurs humaines dont le nom m'échappe toujours.
Et ma boutique qui excelle dans tous les domaines, c'est bien pour cette raison que les Nobles y viennent faire leurs courses. "

Observant de droite à gauche sa boutique et les occupations de ses travailleurs comme l'arrivée de nouveaux client, Mamandil se tourna ensuite vers vous, effectuant une petite révérence.

" Si plus aucune question ne vous oblige en ces lieux, je ne saurai vous retarder dans votre illustre mission de protection du quartier. "

Situé sur la place de l'Acier après le Parcours d'Ilamil, l'imposant bâtiment empestait de loin un mélange d'odeurs étranges et repoussantes. La grande majorité des Nains du coin portaient des bandanas humides sur le visage pour pouvoir respirer sans devoir tousser à l'inspiration des effluves chimiques issues des mélanges organiques, provocant poussière et décoloration des peaux tout comme d'autres colorations ou effet de solidification ou assouplissement. Ceux qui ne se couvraient pas les voix respiratoires toussaient régulièrement d'une toux rauque et parfois grasse, ne laissant rien présager de bon pour leur santé sur le long terme. La place de l'Acier offrait une sorte de barrière naturelle aux effluves par ses nombreux étals et les paravents qui la protégeaient en partie des mauvaises odeurs de la tannerie. De nombreux produits issus du travail des métaux s'y trouvaient à des prix défiant toute concurrence ! La qualité ne semblait cependant pas vraiment au rendez-vous, mais c'était déjà bien suffisant pour qui désirait des couverts et un bol en étain. Une pioche pour creuser les galeries et une dague tranchante dans l'éventualité d'une rixe de rue.

Derrière l'agitation morose de la place, la Tannerie de la Barbe s'imposait comme un roc au milieu de la galerie. Surplombant de haut les bâtiments voisins, elle semblait d'autant plus énorme et menaçante. De grands tuyaux de métaux partaient de sa toiture pour s'enfoncer dans les cheminée naturelles de la grotte afin d'évacuer les vapeurs les plus toxiques vers la surface d'Arathiel. Le bruit des tables de couture et de découpe des peaux résonnait tout autour du bâtiment et un va-et-viens constant animait le lieu. Des Nains, des Humains et en moindre quantité des Elfes travaillaient sur les différents niveaux de la Tannerie. Ils découpaient les peaux en fonction de patrons précis, effectuaient des points de coutures multiples, créaient des teintures, les appliquaient à certains morceaux de vêtements, nettoyaient les peaux, les brossaient, les traitaient, les redécoupaient, vérifiaient les quantités, partaient livrer des caisses de vêtements, ramenaient des peaux depuis les Boucheries plus au Nord de la Fourmilière, triaient les stocks, dessinaient de nouveaux patrons, effectuaient des travaux sur les engins de la Tannerie... un véritable manège sans fin pour les observateurs curieux et à l'odorat peu développés.

Comme vous le présupposiez, les tâches étaient ici bien ordonnées et s'effectuaient par groupe, à la chaîne, pour optimiser les temps de confection et ainsi produire toujours plus sans devoir embaucher plus de personnel. Gérant cette étrange machine vivante un Nain se déplaçait entre les niveau armé d'une grande baguette de bois coloré d'avoir touillé plusieurs teintures depuis des années. Seul son couvre chef le distinguait de la foule, un chapeau haut de forme qui ressortait des bandeaux que portaient les ouvrier. Au premier étage le chapeau bougeait bien vite et il vous faudrait être tout aussi rapide pour l'attraper et voir qui était ce Nain qui le portait.

Filant entre les vents de l'industrie de la peau et ses nombreux travailleurs, vos pas vous menèrent jusqu'au premier étage de la Tannerie. Jetant des regards scrutateurs dans toutes les directions, vous virent le petit chapeau se dandiner à l'autre bout de la pièce, vos appels visiblement étouffés par les bruits de la besogne. Quand après une recherche de quelques minutes et la visite du second avant de revenir au rez-de-chaussé, votre chance vous mena face au Nain chapeauté, un souffle de soulagement gagna vos poumons, accompagné des fortes odeurs d'extraits de plantes dont le barbu c'était aspergé pour passer sa journée sans haut le cœur. Sans attendre une seconde le Nain vous jaugea et s'adressa à vous comme s'il s'agissait de ses employés.

" Vous voulez bosser ? Bon très bien, mais si j'vous chope à flemmarder pas de s'conde chance ! La paie en fin de journée devant la Tannerie. Maintenant descendez filez un coup de main pour les teintures sombres, il faut des mélangeurs ! "