Grogmar -2.0- L'heure de la punition

Quand Grogmar quitta la forge, la nuit était franchement tombée. La mer n'était plus qu'une forme noire. Au dessus, Yla était accrochée dans un ciel faiblement étoilé. Ca faisait des mois et des mois que l'humain n'avait pas vu cela. Il n'y avait ni jours ni nuits à Hiloroth.

Grogmar remonta dans la Nacelle. Le passage des portes successives rappelèrent à son estomac à quel point il était vide. Cette fois, le Techno-mage ne croisa personne sur son chemin. Il arriva dans le hall d'entrée énorme qui l'avait accueilli lors de son arrivée. La magicienne qui avait eu du mal à le croire était toujours là, lorgnant l'Humain d'un regard indéchiffrable. Les cuisines n'étaient pas indiquées mais on ne pouvait pas se tromper ; un délicieux fumet s'échappait d'une des deux portes et venait titiller les narines de Grogmar.

Il devait être plus tard que prévu, car tout le monde semblait déjà là. Les cuisines étaient immenses, au moins autant que le grand Hall. Une série de tables longues de plusieurs dizaines de pieds se prolongeaient sous le lustre le plus énorme que Grogmar n'ai jamais vu. Le sol était d'une pierre orangée et si polie qu'on pouvait s'y voir comme dans un miroir. Il y avait bien cinquante magiciens — voire le double — attablés devant des assiettes pleines. Il y avait du potage de carottes, de navets et poireaux noyé dans une sauce de lait d'amande et quelques bouts de lardons. Encore une chose que Grogmar n'avait pas vu depuis un éternité.

Il y avait des magiciens de toutes sortes, et même de toutes races, bien que les Humains soient les plus représentés. A une tables, des nains en robes paraient très fort de métaux autour d'une impressionnante rangée de chopes. Plus loin, un très grand groupe de magicienne aux robes toutes dignes d'un cour royale discutaient très sérieusement, tandis qu'à coté un groupe d'elfes et d'humains beaucoup plus détendus parlaient d'herbes à fumer. Loë Grisebranche étaient parmi eux.
Il y avait tant et tant d'autres tables et d'autres groupes... Certains allaient debout, leurs assiettes pleines ou vides, faisant des allez retour au buffet qui s’étalait sur toute la longueur d'un mur. Il y avait même des Amphibiens, peau bleue et cheveux tentaculaires, Grogmar n'en avait qu'aperçu une ou deux fois.

Au font de la salle, sur une estrade de pierre et entourée d'arches richement sculptée, il y avait une table un peu plus "petite" que les autres. Une grande douzaine d'hommes et de femmes y étaient assis, tous vêtus d'habits somptueux. Un homme d'âge avancé occupait le centre. Rasé de près, il portait une robe grise et niellée d'entrelacs d'argent. Il avait l'air particulièrement lessivé. A sa gauche, Grogmar reconnu Tissaya, plus rayonnante que jamais, et un bonhomme très vieux, l'air grincheux sous sa moustache qui formait plusieurs rouleaux. A gauche, il y avait une magicienne assez jeune et d'une beauté éblouissante. Elle avait une chevelure d'or et une robe en velours vermeille. D'autres personnages s'étendait de part et d'autres, mais les arches n'en laissait que peu visible.

Grogmar fut tiré de ses observation par un énorme grondement sortant de son estomac. Quelques Ria se retournèrent vers lui, interloqués, puis tout le monde retourna à son assiette.

Le bol de bouillon exhalait une odeur de légumes et de lait d'amande qui déboucha tout de suite les narines de Grogma. Cela faisait des mois et des mois que son gosier avalait du champignon sous toutes les déclinaisons possibles. Il n'y avait pas de couverts mais un énorme tranchoir de pain qui servait en quelque sorte d'assiette.

Grogmar passa à quelques tables de Loë qui le vit, et une expression surprise passa très rapidement sur son visage lisse. Mais il détourna vite la tête, accaparé par quelqu'un qui lui parlait.

La table sur laquelle Grogmar s'assit était remplie comme les autres de personnages diverses, des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes. Les bancs étaient en bois massif et lustrés jusqu'à briller comme du métal. Grogmar remarqua que Tissaya le regardait et lui fit un clin d’œil. Le garçon assis en face du Techno-Mage qui regardait par là se retourna vers lui et écarquilla des yeux.
Il était beaucoup plus jeune de Grogmar, peut être vingt ans tout au plus. Il avait un visage triangulaire et des cheveux bouclés et emmêlés.

— Elle vous a fait un signe monsieur ! Je vous le jure... Vous devriez p'têt vous méfier monsieur, elle a plus de soixante-dix ans...

Mais le jeune homme baissa les yeux vers son potage comme si il avait honte de s'être adressé à Grogmar.

Enfin... J'veux dire, c'est vous qui voyez monsieur, vous faites ce que vous voulez bien-sûr."

Tout le monde assis à sa table regarda Grogmar se lever et se diriger vers la table de Tissaya et des autres. Ils avaient des yeux ronds et la bouche grande ouverte, le Techno-mage jura même entendre des chuchotements voire des petits cris étouffés.

Grogmar gravit les quelques marches qui montaient jusqu'à la longue table mais à peine eu-t-il le temps de terminer sa phrase qu'un personnage surgit de l'ombre d'une des arches qui entouraient l'estrade et se campa devant Grogmar. Toute son attitude montrait qu'il n'était pas près à laisser le jeune magicien faire un pas de plus.

— "Halte magicien, puis-je savoir où tu comptes aller comme ça ? Demanda-t-il d'une voix sans agressivité mais très fermement.

Il était grand et sa peau était quasiment d'un noir d'ébène. Un cache de cuir barrait son œil gauche mais une pupille d'un bleu électrique y avait été peinte. Crâne rasé et visage glabre, Il devait avoir une dizaine d'années de plus que Grogmar. Il était vêtu d'une longue cape d'un blanc aveuglant.

— "Du calme Ëon, son nom est Ogmar, à moins qu'il ne s'agisse de Gomrar ?" Lança Tissaya d'un air résolument malicieux. N'est-il pas charmant ? C'est lui qui est arrivé cet après-midi à l'Ordre, de façon plutôt... mystérieuse."

Le dénommé Ëon jeta un œil en l'air d'un air un peu exaspéré, mais les autres personnages le regardèrent tous avec une attention certaine. D'où il était, Grogmar pouvait mieux voir le visage des convives. A droite de Tissaya, il y avait un homme d'une soixantaine d'année, le crâne largement dégarni, le reste de ses cheveux tombaient sur une robe d'argent perlée de petits cristaux dont les éclats multicolores fulgurait tout autour de lui. Seule son écharpe en vieille laine grisâtre dépareillait avec l'ensemble. Il avait l'air très las.
Encore plus à droite, il y avait cette femme blonde en robe de velours vermillon et sont la beauté n'avait rien à envier à Tissaya. Elle l'évalua d'un regard perçant mais retourna vite à la discussion de sa voisine.
A gauche de Tissaya, il y avait l'autre homme. Petit et enveloppé, il exhibait une moustache insensée qui formait plusieurs rouleaux. Il avait l'air très grincheux, d'ailleurs sa voix ne démenti pas ce constat :

— "Ah c'est vous dont tout le monde parle depuis une heure ? Ca n'est pas assez de mettre le chantier dans nos affaires, vous avez en plus l'audace de venir nous importuner en plein repas ! hmm ? Vous un simple ria ! Où va-t-on ! Hein ?
Quoi qu'il en soit jeune Homme, je veux vous voir dans mon bureau demain à la première heure, il faut éclaircir tout le charabia que vous avez débité à Cyrielle en arrivant... Hum. Ça ne me dis rien qui vaille, non... rien."

Grogmar tourna les talons, alors même qui lui semblait entendre des protestations du magicien moustachu. Mais personne ne se mit sur son chemin, bien au contraire.

En réalité, son humeur massacrante devait peut être se lire sur son visage car les rares personnes qu'il croisa l'évitait comme s'il était un auroch au pas de charge. En passant dans le Hall quasi désert, Grogmar s'avisa de la présence d'une grande horloge au dessus de la porte d'entrée de l'école. Elle indiquait vingt-deux heures. La magicienne de l'acceuil lui jeta un nouveau regard avec un sourcil relevé, comme si elle trouvait étrange qu'il se balade ainsi seul à cette heure, son bol dans les mains.

Grogmar pressa la lourde serrure qui menait à la Nacelle. Le trouble, le brouillard pourpre, le même sentiment que tout tournoie... Mais le Techno-mage commençait à s'y habituer.

La Nacelle était vide. Grogmar était en tête a tête avec le silence. Qu'allait-il faire maintenant ?

La nacelle déposa Grogmar à l'étage d'en dessous. Un long et large couloir se prolongeait face à lui. Voûté, il ressemblait à une grande cave à vin. Un grand tapis recouvrait tout le sol, figurant un arbre complexe des différentes branches d'Essences. Au centre se trouvait une cheminée ronde dont le gros conduis de pierre remontait à travers le plafond. D'autres torches et chandeliers fournissaient un éclairage supplémentaire.
Plusieurs tables et fauteuils confortables garnissaient le lieux, tendis que les murs étaient de part et d'autre percés par des portes régulières où des symboles brillaient de manière étrange ; ils représentaient des symboles nominatifs de magiciens, les mêmes qui se trouvaient sur leurs poignets. La plupart des portes contenaient deux ou trois symboles, parfois plus. Au fond de la salle, Grogmar crû apercevoir le sien sur l'une d'entre-elles, juste en dessous d'un autre symbole.

Il n'y avait pas grand monde dans le hall des chambre. Le feu ronflait doucement dans l'âtre circulaire, jetant des ombres mouvantes sur les sièges vides. Il y avait bien ce magicien à la barbichette et aux lunettes qui somnolait au fond d'un fauteuil, ou cet ria aux cheveux courts attablée non loin et plongée dans l'intense lecture d'un livre, mais à part ça, personne d'autre.

Le potage était simple mais il était mille fois plus succulent que ce que Grogmar avait pu manger ou boire depuis bien longtemps. La portion qu'il avait prise était modeste mais depuis le temps, l'estomac du Techno-mage avait du se réduire jusqu'à la taille d'une pomme. Il était on-ne-peut plus rassasié.

Le feu crépitait doucement, jetant une lumière d'un rouge-orange sur la salle commune. Il n'y avait pas d'autres bruits, la grande partie des magiciens avaient l'air d'être aux cantines.
Grogmar rejoignit sa chambre. Un porte ronde en bois massif définissait l'entrée. Elle était ornée de deux symboles luminescents, magiques de toute évidence. Le premier symbole représentait le traditionnel symbole de la branche de Quartz sous une seule étoile, ce qui signifiait que son compagnon de chambre était un simple Ria, comme lui. Le symbole du dessous, Grogmar ne le connaissait que trop bien puisque c'était le sien.

Il poussa la porte mais aucun brouillard ou sensation de vertige ne s'empara de lui, ce fut comme si il pressait une poignée normale. L’intérieur était d'une taille modeste sans être exigu. Les murs étaient recouverts de chaux et leurs angles étaient tous arrondis. Deux lits occupaient les extrémités de la pièce, avec à leurs cotés une table de chevet, une étagère, et une malle à cadenas devant.
L'étagère de Grogmar était vide, à part quelques bougies de cire, une petite lampe à pétrole et des draps de rechange.
Celle de l'autre lit était encombrée d'un grand désordre ; des livres, des robes mal pliées, des potions et des boissons diverses, une baguette enchâssée d'une bille orangeâtre, et épée dentelée qui brillait d'un éclat noir et sinistre.

Il n'y avait personne dans la chambre.

Grogmar ne se rappelait plus combien pouvait être confortable un vrai lit moelleux et un oreiller en plume. A force de dormir sur de vagues tapis de fougères moisies, son dos avait finit par prendre le pli mais à quel prix ?

Quoi qu'il en fut, Grogmar sombra presque instantanément dans un sommeil profond. Des images floues de golems géant peuplèrent ses rêves, ils détruisaient l'Ordre de leurs poings rageurs. Il ne sut pas combien de temps il pouvait avoir dormi, mais quand il se réveilla, il était sûr que toute la nuit n'avait pas pu passer aussi vite.

L'obscurité n'était pas totale, un rai de lumière orange filtrait à travers la porte ronde de la chambre. Grogmar s'avisa que l'autre lit en face de lui était toujours vide, mais que c'était bel et bien un bruit extérieur à ses rêves qui l'avait tiré du sommeil.
La lumière orangée était entrecoupée de deux ombres, qui bougeaient lentement derrière la porte. Bientôt, celle-ci s’entrouvrit dans un craquement quasiment imperceptible. Deux personnes se tenaient sur le seuil, dans le contre-jour, Grogmar n'y voyait pas grande chose, mais il semblait qu'il s’agissait d'un homme plutôt trapu et d'une femme assez grande.

Grogmar avait les yeux qui picotaient encore de sommeil, mais ça ne l'empéchait pas voir parfaitement les deux personnes qui l'avait réveillé, même à contre-jour.

Celui de gauche était un homme au visage carré et un peu bedonnant, la quarantaine, les cheveux coiffés en brosse. L'autre était une femme à peine plus âgée, un peu plus grande, avec un visage tout en longueur et encadré par des cheveux d'un blond pâle. Tous deux portaient des capes plus ou moins sombres. La femme ouvrit la bouche :

"Le doyen demande à ce que tout le monde se rendent au réfectoire, il ne m'a rien dit de précis, mais j'aurai entendu des rumeurs d'un nouveau dragon qui serait apparu en plein désert."

Quelque chose n'allait pas dans sa façon de parler, il semblait qu'elle dévisageait d'une drôle de façon Grogmar, alors qu'elle n'avait pas l'air de vraiment croire elle-même à ce qu'elle disait.

Alors que Grogmar avait refermé la porte de sa chambre, la femme laissa échappé un éternuement d'une rare puissance, allant même jusqu'à réveiller le vieux magicien à la barbichette qui somnolait dans la salle commune. De toute évidence, elle avait l'air d'avoir attrapé un gros rhume à l’extérieur d'Hiloroth. Dans la cité, ça n'arrivait jamais.

Le vieux sorcier bredouilla quelque chose, plus surpris que mécontent, il avait l'air de se demande où il était. La femme en robe sombre lui dit quasiment la même chose qu'à Grogmar :

"Vous dormiez alors je n'ai voulu vous déranger, je m'excuse de vous avoir déranger, mais je dois vous informer que le doyen souhaite voir tout le monde au réfectoire, d'après les rumeurs, un quatrième dragon aurait fait son apparition, ravageant Lokara.

— "Hein, quoi ? C'est vous Mathilda ? marmonna le vieux Ria. Cela fait un moment qu'on ne vous a pas vu, vous vous étiez encore perdue dans Falryn n'est-ce pas ? Le doyen des Dragons s'est réveillé vous dite ? Oh fascinant, fascinant... Void nous a tous convoqué dans son bureau j'imagine... Et bien j'y vais, j'y vais tout de suite, ah par la barbe de l'Enchanteur, tout le monde doit encore m'attendre !

Le vieux personnage se leva lentement et se dirigea vers la porte de la Nacelle que Grogmar s'apprêtait à ouvrir. Il l'interpella d'un geste de sa canne d'ébène.

Ah mais voila Ziemon Dodge, mon Guetteur préféré !, ça fait bien longtemps mon ami ! Vous n'avez pas pris une ride ! Vous aussi vous allez voir le Dragon du quatrième doyen n'est-ce pas ? Attendez moi, vous m'aiderez à monter ces satanées marches, je ne suis plus aussi jeune qu'avant, hélas !"

Il vint attendre juste à coté de lui, Grogmar remarqua qu'il avait l'air vraiment vieux et que son regard était troublé, comme si un voile opaque le recouvrait. Les deux autres personnes qui étaient venues trouver le Techno-mage dans sa chambres, elles, ne venaient pas.

Les deux Ria ouvrirent la porte, le même brouillard violacé, toujours. Un instant plus tard ils se trouvaient dans le puits sans fond ni plafond, la Nacelle trônant au centre.
Comme d'habitude, une simple pression sur le levier mit l'ensemble en mouvement, les chaînes coulissaient et les roues dentelées tournaient, mais il apparaissait clairement que c'était la magie qui était au centre du dispositif.

Grogmar essaya d'y voir plus clair mais il fut interrompu par le vieux magicien. Celui ci ouvrait et refermait mollement la bouche avec des sons pâteux, en faisant comme si le Techno-mage ne se soit jamais trouvé là. Finalement il leva ses yeux vitreux vers lui.

— "Tiens, voila un nouveau visage ? bredouilla le vieux Ria, d'une voix étrangement oscillante entre intérêt et détachement total. Tant mieux, tant mieux, Falryn à bien besoin de sang neuf, par toutes les Ereliths, je m'échine à le dire à Berthos mais le Roi à d'autres soucis en tête, ces temps-ci.  

Il soupira et regarda autour de lui avec étonnement.

Dans quelle aile du château nous trouvons-nous ? Je ne reconnait pas cet endroit... Ah par les Onze Essences, il est si vaste, je m'y perd toujours ! Mais vous êtes jeune vous, je vous fais confiance. "

Le temps qu'il avait mit à parler avait largement suffit à la Nacelle pour arriver au rez de chaussé, où se trouvait le Hall d’accueil qui lui-même donnait sur le réfectoire et les chambres des apprentis.
Le Hall était moins désert que quand Grogmar l'avait quitté, quelques magicien quittaient les cuisine, le ventre apparemment bien remplis. Les apprentis rejoignaient leurs chambres, repus, alors que la magicienne en vert était toujours assise derrière son comptoir, immuable.

Grogmar arriva dans le réfectoire. Peu de choses avaient changé depuis qu'il était parti ; les magicien en étaient quasiment tous au dessert — des gauffres frittes au four, du fromage et même de l'hypocras. Certains avaient déjà quitté les lieux et d'autres s'apprêtaient à le faire. En tout cas, sur la grande table du fond perchée sur son estrade de pierre, il n'y avait quasiment plus personne. Seul deux vieux magiciens bavardaient paisiblement. Il n'y avait plus trace de Tissaya, de Fedor Astorius ou même du magicien qui l'avait empêché de passer.
Le vieux magicien ne l'avait pas suivit, il semblait que qu'une magicienne quelconque était venue lui parler.

Quelqu'un lui tapa dans le dos. Eudes, le forgeron. Il avait quitté ses gants noirci et son tablier, il était propre comme s'il sortait des bains publics.

— "Alors petit gars, c'est à cette heure ci qu'on arrive ? Tu n'es pas un forgeron harassé par la besogne il me semble... Tu as senti l'odeur des gaufres au miel, hein ? Estimes toi heureux qu'il en reste encore !"

D'un sourire satisfait, il se tapa le ventre et fit mine de se diriger vers le buffet largement dégarni.

Eudes l'arrêta tout de suite d'un geste d'une de ses énormes mains. L'autre empoignait déjà une des dernières gaufres.

— "Ah petit gars, avant l'heure, c'est pas l'heure. Après l'heure c'est plus l'heure." Lâcha-t-il d'un ton ferme, peut être mâtiné d'une pointe d'agacement mais sans méchanceté. Il y a un temps pour le travail, mais à cette heure-ci j'ai les épaules lourdes comme des enclumes et le cervelet farci de formules et temps de trempes. En fait je ne comprends rien à ce que tu me racontes.

Le forgeron se laissa tomber lourdement sur la chaise de la première table qui se trouvait là et continua sur le même ton :

J'ai bien envie de m'asseoir mais quant à ce qui est de causer métaux, forges ou golems... Reviens demain à la forge comme je te l'ai dit. A la première heure si ça te chante, j'y serais avant la levée du jour. Mais je te préviens petit gars, je ne vais pas avoir beaucoup de temps à te consacrer. Je peux te fournir du fer ou de l'acier aux prix de la maison, mais pour le reste tu devras te débrouiller seul, et surtout ne pas traîner dans mes pattes, en plus je crois qu'un autre jeune voulait aussi se servir de l'atelier.

Pour l'heure, la seule chose à quoi je pense c'est de retrouver ma femme et mon petit bout !

Il arracha d'une bouchée formidable un pan entier de sa gaufre au miel.